Atelier Bruno Moret

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1950 – 1960, JOUEF contre JEP, ou le triomphe du plastique

La bataille qui  opposa les firmes JEP et Jouef de 1950 à 1960, illustre la mutation industrielle de l’après guerre accompagnant les « trente glorieuses » et le passage rapide d’un mode de fabrication quasi artisanal à la production industrielle de grande série.

Cette révolution qui fut fatale à JEP, incapable de se moderniser, mais qui installa JOUEF durablement en tête d’affiche.

 

 

Du Jouet de Paris à J de P, puis JEP : les origines du H0 en France

L’histoire de ce qui allait devenir la plus importante marque de trains jouets français, JEP, est complexe. Elle prends son origine dans de modestes ateliers de ferblanterie dont certains produisaient déjà des jouets s’inspirant du chemin de fer, en fait de simples trains de plancher, sans rails, à traîner à l’aide d’une ficelle, à l’image de FV.

 

 

Cette marque fut en effet déposée dès 1866, par E. Faivre. Son successeur à la tête de la société, Lefèvre, allait bientôt s’associer à Dessein, un concurrent, pour créer la firme FV - DS. Celle-ci allait encore fusionner avec les établissements Potier et Vialin, puis avec Richard Frères, proposant un catalogue pléthorique de jouets métalliques : soldats, animaux, bateaux et naturellement trains.

En 1902, FV – DS allait constituer avec les maisons Bonnet, Duclot, Douliot, Leconte et Compagnie, Roussel et Dufrein, Tantet et Manon la société du Jouet de Paris, prenant comme marque de fabrique JP, puis J de P. L’histoire était en marche !

Il fallut cependant encore attendre 1905 pour voir apparaître les premiers trains JP, l’essentiel du catalogue étant simplement repris des anciennes fabrications. D’ailleurs, nombre d’accessoires, signaux, passerelles et gares créés par FV figurèrent au catalogue J de P jusqu’à la fin des années 1920.

En 1908, le Jouet de Paris s’installa dans une vaste usine située à Montreuil, hélas détruite par un incendie dès l’année suivante.

L’entreprise en perdition fut alors reprise par la Société Industrielle de Ferblanterie, la SIF, fondée en 1899 par Jules Villers, qui possédait déjà 4 usines, à Fresnes et Sobre-le-Château dans le Nord, Chalon-sur-Saône en Saône et Loire et Beaune en Côte-d´Or.

L’usine de Montreuil fut reconstruite et dédiée à la fabrication des trains et des jouets, chargée de développer de manière autonome la marque J de P. Dans le même temps, les méthodes de fabrication abandonnèrent l’artisanat pour une industrialisation plus poussée, ainsi en 1918 la sérigraphie, entraînant une fabrication en tôles agrafées, remplaça les modèles soudés et peints à la main.

 

Le Pacific Mignon, l’ancêtre du H0 en France

En 1926 J de P sortait le Pacific Mignon, un train miniature circulant sur une voie de 18 mm d’écartement, suivant en cela de près l’exemple de la firme allemande Bing qui avait mis sur marché l’année précédente un train « de table » réduction de moitié de l’échelle reine de l’époque, le 0.

 

 

 

La proposition J de P se développait quant à elle autour d’un programme de voie perchée, à la manière d’un viaduc, les rails étant rendus solitaires par de petits parapets.

Deux coffrets étaient disponibles :

 

- Le Pacific Mignon, composé d’une loco tender type 120, de deux voitures voyageurs et d’un fourgon à bagages.

- L’ Electric Trolley, composé d’une motrice 1B1 alimentée par une ligne aérienne réellement fonctionnelle, la rame étant quant à elle la même que celle du Pacific Mignon.

Une gare, un château d’eau et quelques signaux complétaient l’ensemble.

 

 

 

Cette gamme ne rencontra cependant pas le succès escompté et fut stoppée dès 1934, victime de la crise économique qui touchait l’Europe, mais aussi du peu d’intérêt d’un train sans beaucoup d'accessoires, condamné à tourner en rond sur une table alors que son prix de vente n’était pas si éloigné de la gamme en 0, beaucoup plus intéressante. Seuls subsistèrent pour un temps au catalogue la gare et le château d’eau.

 

 

 

La firme, qui entre temps avait prit le nom de JEP en 1930, se spécialisa d’ailleurs dans cette échelle et développa une gamme complète de trains de luxe, dont le célèbre Flèche d'Or introduit en 1928 et l’autorail Nord TAR en 1935, présenté dans le catalogue comme « le plus beau jouet et le plus moderne qui existe ».

Et c'est vrai qu'il s'agissait d'un beau jouet comme l'illustre cette vidéo : un train JEP 0...

 

La naissance de la gamme 00 JEP                                        

Au sortir des restrictions et du rationnement des matières premières de l’après deuxième guerre mondiale, JEP, qui avait d’abord maintenu sa gamme en tôle lithographiée, introduisit bientôt de nouvelles méthodes de fabrication mettant en œuvre le moulage de zamac.

Cette technique allait donner naissance dans les années 50 à 60 à l’échelle 0, aux magnifiques 141 P et 131 T ainsi qu’aux plus modernes motrices s’illustrant alors sur Paris Lyon, les CC 7001 et BB 8100.

Cependant, comme le précise le premier catalogue 00 de la firme, publié dès 1949 « on ne dispose pas toujours de l’espace nécessaire pour établir un réseau normal de 35 mm ; c’est pourquoi JEP présente à ses nombreux fervents un nouveau train miniature roulant sur une voie 00, ce qui permet de faire circuler et tourner un train sur une table de 1 m de large seulement. Quel plaisir de pouvoir établir votre réseau sur la grande table de la salle à manger et, tranquillement assis sur votre chaise, de faire manœuvrer vos trains… »

 

Vingt-trois ans après le Pacific Mignon, JEP allait cette fois développer une véritable gamme 00, puis H0, avec du matériel de grande qualité, en métal moulé, s’inspirant tout d’abord des modernes 232 R du réseau Nord, curieusement complétées de voitures saucissons Etat, puis d’une 2D2 9100. L’électrification de Paris Lyon avait alors la côte !

 

 

La gamme comprenait également de nombreux accessoires, signaux, lampadaires, ponts et quelques bâtiments réalisés en contre plaqué assemblés à la main de manière artisanale et décorés d’une facture assez grossière toutefois.

 

Publicité publiée dans les colonnes de LOCO REVUE 1950 : JEP cinquante années de succès…

 

1955, l’année du record de vitesse SNCF

A la même époque une petite firme proposait quelques jouets de ferblanterie, sous la forme d’un modeste autorail jouet à clé, l’Alger Tombouctou, bientôt suivi d’une locomotive à vapeur mécanique 020 s’inspirant plus que vaguement de la Pacific Etat carénée, mais à la caisse déjà moulée en plastique, remorquant une voiture de la Compagnie des Wagons Lits encore en tôle lithographiée…

 

 

Cependant JOUEF, contraction du Jouet Français, allait bientôt se spécialiser exclusivement dans le moulage plastique, permettant une large diffusion de modèles bons marchés, solides et s’inspirant de plus en plus fidèlement de la réalité, à l’image des BB 9003 – 9004.

 

Et la réalité pour les chemins de fer français de cette époque, c’était d’explorer les capacités et d’établir si possible un nouveau record de vitesse en traction électrique, symbole de la reconstruction et du renouveau de l’après guerre. La SNCF venait de terminer l’électrification de la section Paris – Lyon en 1950 qui avait d’ailleurs inspiré la 2D2 9100 JEP.

Cependant, la conception de ces locomotives, avec bogies porteurs était ancienne, reprenant des principes datant des années 30.

Entre 1952 et 1954, la SNCF commanda quatre locomotives prototypes, les 9001 – 9002, et 9003 – 9004 afin d’expérimenter le type BB à adhérence totale en complément des récentes CC 7100.

Une aubaine pour JOUEF qui proposa en 1954 une BB 9003, en plastique à la caisse joliment gravée et restituant assez correctement le prototype réel.

 

 

 

 

Le 21 janvier 1954, la CC 7121 roulait à 243 km/h entre Beaune et Dijon. L’année suivante, deux motrices pulvérisèrent ce record éphémère. A cette date en effet, la SNCF lança une campagne afin de dépasser la barre symbolique des 300 km/h sur rail.

Le 28 mars 1955, la CC 7107 atteint la vitesse de 331 km/h sur la ligne des Landes, entre Bordeaux et Dax. Le lendemain, ce record était égalé par la BB 9004, roulant sur la même ligne.

Pas de chance pour JOUEF, qui dut reprendre en urgence le moule de sa toute nouvelle création afin de profiter du formidable retentissement mondial du nouveau record. La BB 9003 devient 9004.

Mais coup de chance pour JOUEF, qui disposait maintenant d’une machine mondialement connue, proposée à un prix imbattable grâce à la maîtrise du moulage plastique. Et JOUEF allait communiquer en ce sens, le catalogue, les coffrets font référence à ce record.

 

 

Au début des années 60, la messe était dite, le moulage plastique triomphait des méthodes de fabrications ancestrales mises en œuvre jusqu’alors par JEP.

A titre d’exemple, la gare JOUEF complète, de belle facture, à l’échelle et évoquant parfaitement une architecture réelle coûtait alors 1500 F ; la gare JEP concurrente, en contre plaqué assemblé à la main, était proposée quant à elle à 2265 F, bien trop cher pour un bâtiment grossier.

 

Loco Revue 166 de septembre 1957 : présentation du Trirama JEP...

 

Au début des années 60, JEP conserve le même slogan, mais 10 ans sont passés !

 

La vénérable firme tenta bien de réagir, mais la gamme plastique proposée était décevante, la qualité médiocre et coût encore élevé ne permirent pas à JEP d’opérer son redressement, d’autant qu’Hornby venait de se lancer avec succès dans l’aventure du H0.

 

 

 

 

 

JEP stoppa la fabrication de ses trains en 1963 laissant JOUEF effectuer avec succès le chemin inverse, du jouet de grande diffusion aux modèles destinés aux amateurs adultes.

 

 

 

 

Loco Revue 188 à 192 de 1959 : présentation d'un réseau et de la gamme JOUEF...

 

 



27/12/2011
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