L'architecture ferroviaire : réalité
Le chemin de fer avait été créé à l'origine pour faciliter les approvisionnements en minerais et en charbon des industries naissantes. Mais rapidement, il s'intéressa au transport des voyageurs pour devenir le vecteur d'une des plus importantes mutations de tous les temps.
Déjà en 1858, Auguste Perdonnet, administrateur aux chemins de fer de l'Est, écrivait dans son traité élémentaire : «La plupart de nos grandes industries ont éprouvé la bienfaisance de la création des chemins de fer. L'industrie minière est devenue tellement florissante, qu'elle est arrêtée dans ses développements par le défaut des bras; l'industrie métallurgique s'est trouvée un moment incapable de fournir aux besoins des grandes compagnies; l'agriculture a pu écouler ses produits sur des marchés qu'elle n'avait pu aborder jusqu'alors. Les chemins de fer ont exercé sur nos mœurs une action qui n'a peut être pas été suffisamment appréciée».
Quant à Théophile Gauthier, il qualifia les gares de «cathédrales de l'humanité nouvelle» !
Notons que le terme de gare fait normalement référence à l'ensemble des installations ferroviaires, dans lesquelles la partie consacrée à l'arrivée et au départ des voyageurs, le BV et les quais, ne représente qu'une très faible surface. Cependant, dans le langage usuel, la «gare» a bien vite pris le sens de «bâtiment voyageur».
Témoin de cette vénération, l'architecture ferroviaire développée par les multiples compagnies de chemins de fer pour la réalisation de leurs installations, est un vaste domaine, riche et complexe, héritier de plus de 180 ans d'histoire.
L'architecture des origines
Les chemins de fer dans leur ensemble furent construit ex-nihilo, et l'architecture des gares, les «embarcadères» selon la terminologie de l'époque, ne fut validé qu'au fur et à mesure de l'expérience, des errements et des réussites.
Des bâtiments spécifiques furent ainsi créés pour répondre à des besoins totalement nouveaux : Bâtiment voyageurs, abri de quai, buffet de gare, WC, lampisterie, poste d'aiguillage, maison de garde barrières, halle à marchandises, remise à locomotives et à voitures, rotonde...
Chaque compagnie développa ses propres standards, répondant en cela à la loi du 11 Juin 1842 qui précisait que la création des superstructures était à la charge de l'exploitant. L'ensemble se traduisit sur le terrain par une grande diversité de types et de variantes. D'autant que des échanges et des interprétations furent pratiqués entre les réseaux.
Ainsi, le Bourbonnais, appartenant à l'origine à un syndicat formé du PL (Paris-Lyon), du PO et du Grand Central, adapta-t-il pour certaines de ses installations des bâtiments de type Nord, comme à Neuvy-sur-Loire par exemple.
Cependant, nombres d'installations primitives avaient été construites provisoirement, généralement en briques sur armature bois, ou encore entièrement en bois, par mesure d'économie. Bien souvent en effet, la totalité du capital avait été dépensé pour la construction des lignes et l'achat du premier matériel. Il ne restait alors simplement plus assez d'argent pour construire les bâtiments !
Cet indigence de moyen fut la source de nombreuses plaintes de voyageurs, d'autant qu'ils n'étaient pas autorisés à attendre sur le quai l'arrivée du train. La confiance n'était d'ailleurs pas le maître mot des premiers exploitants des chemins de fer, puisque les voyageurs, sortant des salles d'attente bouclées, et soigneusement surveillées, étaient ensuite enfermés à clés dans les voitures. Il fallut attendre la catastrophe de Meudon, le 8 Mai 1842 qui fit officiellement 57 morts, pour la plupart brûlés vifs, pour revenir sur cette mesure.
Quoi qu'il en soit, les voyageurs des classes supérieures se plaignirent de la promiscuité de la population des classes basses. Les gares furent alors progressivement dotées de salles d'attente de plus en plus vastes, permettant la séparation des différentes classes.
A cette époque, où les chemins de fer étaient très fortement influencés par l'exemple Britannique, les quais hauts, de l'ordre de 0.70 à 0.90 m, furent souvent préférés. Ils permettaient aux voyageurs d'accéder aux voitures directement au niveau des planchers.
Le développement
Le second Empire allait marquer une phase de développement exceptionnel du chemin de fer.
L'accroissement, quasi exponentiel du réseau et du trafic, allait entraîner une refonte complète des installations déjà réalisées. Certes, les constructions d'origine ne pouvaient être dans une certaine mesure qu'empiriques, puisque l'on ignorait tout des besoins de ce nouveau mode de transport, mais il y eut aussi une certaine imprévoyance.
Ainsi, l'implantation des gares terminus de Tours ou d'Orléans, par exemple, obligea à construire en amont de nouvelles gares d'embranchement afin de pouvoir poursuivre le développement des lignes. La ville de Lyon voulut même couper la future artère PLM, avec un terminus Nord sur le PL (Paris-Lyon) et un terminus Sud sur le LM (Lyon-Méditerranée) à l'exemple de Paris qui possédait une gare terminus pour chaque compagnie !
En ce qui concerne l'architecture des gares et leur implantation générale, la mesure la plus importante de l'époque, fut de permettre aux voyageurs munis de billets d'accéder directement aux quais, sans stationner dans les salles d'attente. Mais il fallut toutefois attendre un arrêté ministériel en date du 10 Janvier 1885, pour que cette mesure soit généralisée à l'ensemble du réseau.
Elle allait entraîner une modification importante de l'espace intérieur des gares. La salle des pas perdus, ou vestibule, devint l'espace névralgique autour duquel allait s'articuler les guichets de ventes des titres de transports, l'enregistrement des bagages, les accès aux quais, l'entrée des salles d'attentes.
Les différents services, voyageurs, marchandises, dépôts des locomotives, furent alors bien séparés les uns des autres. Ces nouvelles dispositions permirent de libérer de la place qui fut consacrée, en ce qui concerne le secteur voyageurs, à construire des quais doubles. Le problème de l'accès fut alors réglé par la création de passerelles, ou de passages souterrains.
La hauteur des quais fut réduite quant à elle aux environs de 0.20 à 0.30 m, de telle façon que la distance entre le haut du quai, et le premier niveau des marchepieds des voitures soit équivalent à la hauteur d'une marche normale.
La protection aux intempéries des voyageurs fut assurée dans les plus grandes gares par de vastes marquises couvrant la totalité des voies à quais, mais n'assurant cependant pas une protection pour la longueur totale du train, au détriment naturellement des voyageurs de troisième classe.
Pour les stations les plus modestes, de simples abris de quais, en maçonnerie, mais aussi fréquemment en bois furent construits.
Ces développements allaient entraîner une refonte complète de l'architecture des gares.
Dans certains cas, on réalisa des ajouts successifs sur le bâtiment d'origine. La première gare de Dinan, par exemple, d'architecture typique de l'Ouest, fut d'abord construite avec deux ailes à 3 portes, selon un plan type de la compagnie. Un premier agrandissement porta le nombre de portes des ailes à 4, puis encore à 8, pour être finalement remplacée par une nouvelle gare en 1930.
Ailleurs, il fallut reconstruire complètement de nouvelles installations, soit en rasant les anciennes, soit en construisant à côté. C'est le cas au Buisson-de-Cadouin en Dordogne, où le BV d'origine, d'architecture Grand Central à 4 portes, construit à l'occasion de la mise en service de la ligne Périgueux-Agen en 1863, fut remplacé lors de la mise en service de la ligne Bordeaux-Lyon, en 1879, par un vaste BV type PO dotée d'un corps central à 5 portes flanqué de deux ailes à 5 portes. Le BV d'origine, qui existe toujours aujourd'hui, devint alors le local du chef de district.
Enfin, dernier avatar architectural, le déménagement pur et simple d'un bâtiment comme le fît la compagnie du Nord. Elle réutilisa en effet l'embarcadère primitif de Paris, pour en faire la nouvelle gare de Lille, au grand désespoir des nordistes qui voyaient d'un très mauvais œil cette opération, la jugeant discriminatoire !
Autre fait marquant de cette période de développement du rail, la construction dès le milieu des années 1860, de très nombreuses haltes, en complément des stations desservent des localités importantes. Cette mesure devait permettre une meilleure desserte des populations rurales, notamment les jours de foires et de marchés. D'ailleurs beaucoup d'entre elles furent demandées par l'intermédiaire de pétitions par les populations concernées.
Les plans types
La constitution des grandes compagnies, le développement du réseau, et la mise en place dans les années 1880 du plan Freycinet, allaient conduire à une standardisation des architectures, et à l'adoption de plans types reproduits avec quelques variantes à de multiples exemplaires. Il s'agissait alors de construire au meilleur coût, en tenant compte de l'expérience accumulée. Les plans types constituèrent ainsi l'aboutissement d'un demi siècle de rationalisation progressive des constructions.
Ce furent les gares intermédiaires, de moyennes ou de faibles importances, des lignes Freycinet qui bénéficièrent principalement de ce traitement.
Les gares de style construites à cette époque furent réservées aux stations les plus importantes, ou dans quelques cas particuliers, comme la très modeste gare de Valençay, sur le réseau métrique du Blanc-Argent, construite en 1902 dans un style Renaissance afin de s'intégrer au cadre du château du duc de Talleyrand.
L'entre deux-guerres
Les années d'après guerre marquèrent le retour d'une certaine créativité en matière d'architecture. Cela se fit sous la pression des évènements, comme pour la reconstruction des dommages de guerre, ou encore avec le désir de céder aux canons architecturaux de l'époque, lors de la construction de lignes nouvelles, mais le cas était alors de moins en moins fréquent.
Les réseaux de l'Est et du Nord, sévèrement touchés par la guerre 1914-1918, développèrent chacun une architecture de style homogène, reproduit avec quelques variantes à de nombreux exemplaires. Pour ces deux réseaux, on peut considérer qu'il s'agit d'une seconde génération de plans types, venant après les constructions du plan Freycinet.
Dans le cas du réseau de l'Etat, il s'agit soit de marquer une nouvelle époque, soit d'affirmer le caractère régional de quelques stations particulières.
Ainsi, la gare de Dinan, comme nous l'avons vu, fut entièrement reconstruire en 1930, dans le style «art déco» très en vogue à l'époque, après deux agrandissements successifs du bâtiment d'origine.
La nouvelle gare de Deauville, elle aussi reconstruite en 1930, s'inscrit pour sa part dans la tradition purement locale en s'inspirant d'un style pseudo-normand, faisant la part belle aux faux colombages et aux toitures mansardés, caractéristique de cette région balnéaire. Dans une moindre mesure la gare d'Elbeuf-Saint-Aubin procède de la même démarche.
Sur le PLM, les constructions réalisées à cette époque furent l'occasion de définir une nouvelle architecture, elle aussi plus ancrée dans les traditions régionales. L'inspiration fut alors provençale sur les lignes Miramas-L'Estaque, ou Nice-Breil, ou du Bourbonnais sur les lignes Vichy-Riom ou La Ferté Hauterive-Gannat.
Le style SNCF
Si l'on considère la période allant de 1938 à nos jours, on peut difficilement parler de style SNCF.
Cependant, les destructions dues à la guerre 1939-1945, allaient donner naissance à un style «reconstruction années 50». Il ne fut cependant pas particulièrement significatif, et contribua à l'uniformisation déplorable de l'architecture de cette époque, ayant été en effet reproduit sur l'ensemble du territoire touché par ces évènements.
Ainsi, par exemple, les BV de Glos-Montfort ou de Villers en Normandie, et de Soulz-sous-Forêt en Alsace sont à quelques détails près strictement identiques.
Mais les temps n'étaient plus au développement, et à la construction de nouvelles gares, mais bien plutôt au repli du chemin de fer, et à la fermeture de lignes.
Aujourd'hui, la construction des lignes nouvelles du TGV ne donne pas lieu à la création de nombreuses gares. En effet, ce train n'a pas pour vocation d'assurer des omnibus entre des gares de faible ou de moyenne importance, mais bien de relier de grandes métropoles, distantes de plusieurs centaines de kilomètres.