Perspective et échelle
Un réseau miniature, quel qu’il soit, est d’abord construit pour être regardé. On peut dès lors introduire la notion de composition de l’image qui sera offerte à l’observation des spectateurs comme en peinture ou en photographie et considérer le réseau comme un tableau en trois dimensions.
Mon propos est donc d’évoquer ici certaines règles dont l’application permettra de placer le spectateur devant un paysage panoramique, avec un premier plan, un arrière plan, un horizon et un ciel.
Cet autorail Bugatti file vers Cannes en circulant au pied des Alpilles que l’on aperçoit dans le lointain…
La même photo sans le fond de décor : en fait de lointain, les Alpilles sont simplement peintes le module ne dépasse guère 50 cm de profondeur !
La perspective
La perspective traduit l’éloignement des objets observés, en diminuant les dimensions apparentes de ceux-ci dans les trois grandeurs (hauteur, largeur et profondeur) d’une manière proportionnelle à la distance qui les sépare du point d’observation, c’est à dire l’endroit où se situe le spectateur.
On peut aussi remarquer qu’une série d’objets placés sur un même plan par rapport à un observateur se déplaçant le long de ce plan, conserve la même échelle apparente de réduction.
Pour les objets placés dans les autres plans d’observation, les dimensions sont variables en fonction de leur implantation dans les différents plans successifs.
Plus le plan est éloigné du point d’observation et plus l’objet situé dans ce plan paraît petit.
Evoquer un village dans le lointain : quelques coups de pinceaux « impressionnistes » suffisent.
Bel exemple de village pouvant être traité en fond de décor, réalisé à une échelle réduite par rapport à celle du train, afin de traduire l’éloignement.
La perspective en modélisme
En ce qui nous concerne, deux cas sont à considérer.
Sur un module, ou un réseau étagère, la très faible profondeur disponible interdit quasiment tout traitement de l’espace par la perspective.
Il ne sera en effet pas possible de mettre en place facilement la succession premier plan, deuxième plan, arrière-plan et fond de décor. Et il vaut souvent mieux renoncer à la tentation d’évoquer l’ensemble de ces plans sur une toile peinte placée sans aucune transition aux abords immédiats des voies.
Dans ce cas, l’échelle est donc uniforme, et la vision que le spectateur a de l’ensemble le place alors au coeur des installations ferroviaires.
Ainsi, l’unique solution pour intégrer facilement un fond sera de disposer à l’arrière de la voie soit un rideau d’arbres, comme il en existe souvent en réalité, soit un mur de soutènement ou une falaise, comme sur les modules reproduisant la ligne de la Maurienne du CFFC ou encore le viaduc de la Combe Bouchard non loin de Dijon, soit encore un groupe d’immeubles simplement traités en bas relief.
L’ensemble est alors fermé immédiatement à l’arrière de ce bas relief par le panneau de ciel comme l’indique la figure 1.
Sur un réseau classique par contre, la profondeur du champ visuel est beaucoup plus importante. Dans ce cas, l’objectif n’est plus uniquement la reproduction d’une gare et de ses abords immédiats, mais d’une manière plus générale, du site environnant, constituant alors un écrin à l’évolution des trains sur le réseau.
L’utilisation de la perspective prend alors tout son sens et permet de créer une succession de plans qui augmente l’effet d’espace pour le spectateur en situant par ailleurs le train dans son environnement géographique, malgré la surface forcément limitée du réseau.
L’étagement d’un paysage en différents plans remarquables
L’analyse d’un paysage peut se réduire à trois ou quatre plans remarquables dont l’importance relative des uns par rapport aux autres sur un réseau est liée à l’importance des sujets se trouvant à l’intérieur de ces plans.
Ainsi, une simple ferme apparaissant au deuxième plan peut-elle masquer complètement le fond de décor aux spectateurs, tandis qu’un château dans le lointain, à la limite de la toile de fond, constituera ailleurs sur le réseau un des éléments de force du décor laissant au plan précédent un simple rôle de transition.
En règle générale, on peut admettre que le deuxième plan occupe une largeur égale au 2/3 de la largeur séparant le fond de décor du premier plan, comme l’indique la figure 2.
Ce beau paysage de campagne aux abords de Blaisy, sur la ligne Paris Dijon se prête bien à la mise en œuvre des lois de la perspective qui placeront le train dans son véritable environnement.
La variation de l’échelle des plans
Nous pouvons maintenant définir les différents plans remarquables et la variation des échelles de réduction pour un réseau construit à l’échelle nominale du H0.
- Le premier plan est par définition traité à l’échelle nominale de réduction du train. Il comprend les abords de la plate-forme de voie, ainsi que les différents bâtiments ferroviaires.
Passons sur l’avant-plan, situé entre le spectateur et le premier plan. En toute logique, la variation d’échelle couvre ici une zone allant de l’échelle 1 : 1 au niveau du spectateur à l’échelle nominale du réseau adoptée pour le traitement du premier plan.
Dans la pratique, cet avant-plan n’est que très rarement traité.
Les lois de la perspective : feuilles de noyer de l’avant plan sont plus « grandes » que le château de Beynac dominant la vallée de la Dordogne…
En modélisme, le traitement de l’avant plan est rarissime. Il peut cependant donner des résultats intéressants, comme avec ce champ de tournesols traité au 1 : 50 alors que le train est à l’échelle H0.
- Le deuxième plan se situe naturellement entre le premier plan et l’arrière-plan.
Dans l’exemple du seuil de Bourgogne, il couvrira la zone où serpente le ruisseau, comprise entre la plate-forme de voie et la première rangée d’arbres à mi-colline.
De la même manière, sur le réseau du Mont Dore, la ferme située au dessus de la boucle de retournement sera reproduite dans cette zone.
La variation d’échelle dans ce plan est comprise entre l’échelle nominale et le 1:300ème.
Plan du réseau transposant le site du Mont Dore qui donnera l’occasion de mettre en pratique les lois de la perspective.
Cette ferme du Cantal se retrouvera transposée sur le réseau du Mont Dore, à une échelle comprise entre l’échelle nominale du 1 :87 et le 1:300
- L’arrière plan assure la jonction entre le deuxième plan et la toile de fond. La variation d’échelle est alors comprise entre le 1:300ème et le 1:700ème.
Le Mont Dore, la maison sur la droite au fond semble 5 fois plus petite que celle, également à quatre fenêtre située dans la rue descendant à la gare. Elle pourra être traitée sur l ‘arrière plan à l’échelle 1 : 435ème.
- La toile de fond enfin, est réservée au lointain avec une variation d’échelle comprise entre le 1:700ème et le 1:1000ème.
Dans ce cas, la très faible échelle de réduction des objets reproduits autorise, sans dommages visuels, leur traitement en deux dimensions seulement. Le fond de décor étant par définition une surface plane.
Ce train s’inscrit sur le viaduc La Rague dans le paysage grandiose du massif de l’Esterel. En réalité, l’ensemble ne mesure guère plus de 80 cm de profondeur et les maisons du deuxième plan sont traitées au 1 : 120.
La variation de l’épaisseur d’un objet dans un plan
Il faut évoquer maintenant le problème de la variation des profondeurs qui détermine l’épaisseur des objets dans les différents plans. Cette variation ne suit pas la même progression que la variation d’échelle des autres dimensions d’un objet, hauteur et largeur.
En effet, l’épaisseur d’un objet quelconque passe de l’épaisseur normale à l’échelle usuelle du premier plan, à une épaisseur nulle sur le fond de décor, pour l’échelle de réduction du 1:700ème.
Ainsi, un château ayant un plan carré de 100 mètres de côté, occuperait à l’échelle H0 une surface de 1,15 m², tandis qu’il serait simplement figuré sur la toile de fond par sa façade de 142 mm de long et une épaisseur nulle.
Pour simplifier, on peut considérer une variation linéaire de l’épaisseur selon la courbe donnée figure 3.
En ordonnée est fixé le coefficient de correction de l’épaisseur. En abscisse est porté l’éloignement de l’objet situé entre le premier plan, traité à l’échelle nominale, et la toile de fond où l’épaisseur est nulle.
Ainsi, toujours pour notre château de 100 mètres de profondeur réelle, mais cette fois situé au deuxième plan et traité à l’échelle du 1:200ème, la profondeur corrigée sera-t-elle de 325 mm au lieu de 500 par l’application du coefficient 0.65.
Le château et le village de Najac, un thème intéressant à reproduire avec une gare située entre deux tunnels, dans une vallée profonde. La perspective y fera des merveilles !
La perspective aérienne
Enfin, ces définitions géométriques doivent être complétées par la notion de perspective aérienne. Il s’agit simplement d’une atténuation des couleurs qui paraissent estompées sous l’action du voile atmosphérique.
Les collines en arrière plan semblent s’estomper : c’est cela, la perspective aérienne.
Ce train corail s’inscrit sur le viaduc de Lamothe, près de Souillac. En modélisme, les collines du fond pourraient être évoquées en peinture en utilisant la perspective aérienne.
L’angle de vision
L’angle de vision définit la zone de perception de netteté d’un objet ou d’une image.
On constate que la zone de netteté parfaite est contenue dans un angle de vision très restreint de 2° au point de fixation de l’image. Cette caractéristique nous permet par exemple de suivre la ligne d’un texte et de pouvoir lire sans être perturbé par la vision des autres mots imprimés sur l’ensemble de la page.
La zone de netteté utilisable est contenue dans un angle de 22.5 °. Entre 22.5 ° et 45 à 50 °, selon les individus, la zone de netteté est acceptable. Au-delà, c’est à dire entre 50 et 170° environ, valeur représentant la limite du champ visuel, la vision passe progressivement d’une zone peu sensible aux détails à une zone floue.
Détermination du point d’observation
On constate qu’instinctivement, l’homme est amené à se rapprocher ou à s’éloigner jusqu’à une distance voisine de deux fois et demie la plus grande dimension de l’image ou de l’objet observé afin de juger de celui-ci.
Considérons le réseau des Eyzies équipé de son bandeau supérieur masquant les éclairages. Le tableau offert au regard des spectateurs représente en fait une hauteur de 80 cm, qui situe donc à 2m (2,5 x 0,80m) le point d’observation idéal pour embrasser la totalité du paysage en offrant au spectateur une vision nette et panoramique de l’ensemble de la scène.
Le visiteur sera ensuite conduit naturellement à détailler telle ou telle partie du décor dont un élément aura retenu son attention, et donc, à se rapprocher instinctivement du réseau. A l’échelle H0, par exemple, la façade de l’église représente environ 25 cm de hauteur. Le point d’observation idéal pour une vision nette de l’ensemble du bâtiment est donc situé à environ 60 cm de l’église (2,5 x 0,25 m).
Dans ce cas, le train passant au premier plan sort de la zone de 22.5° de netteté utilisable, ce qui conduira le spectateur à prendre un léger recul pour admirer à l’occasion le passage du train.
Se pose alors le problème de la protection du réseau donné à l’observation des spectateurs, notamment lors d’une exposition. Dans cet exemple, l’église étant située à environ 50 cm du bord du réseau, l’observateur a naturellement tendance à venir se coller le long de la menuiserie, ce qui peut causer des dommages pour le bord de l’installation.
Dans la pratique, sur un réseau non protégé par une vitrine, il est prudent d’éloigner, par une barrière, d’au moins 80 cm le bord du réseau du point d’observation le plus rapproché.
Dans ces condition, notre spectateur découvrira dans son champ de netteté utilisable, le train au premier plan, puis l’église au deuxième plan, enfin le village en arrière plan qui devra être traité en perspective afin de renforcer l’impression d’espace. Ainsi, le spectateur sera-t-il toujours placé de telle façon que le train apparaisse net au cœur du site, avec une vision naturelle de l’ensemble, et c’est bien là l’effet recherché.
L’église de Tayac et son village sur le réseau des Eyzies. L’église est traitée au 1 :87ème, mais la profondeur est réduite de 20 %. Les maisons sont quant à elles réduites entre le 100ème et le 120ème pour créer l’effet de perspective.
La structure du village de Tayac, en contre plaqué de 10 mm qui permet d’apprécier les différences de niveau du village construit à flanc de coteau.
La ligne d’horizon
Il ne viendrait à l’idée d’aucun conservateur de musée de poser au sol ou sur une table les tableaux destinés à une présentation au public. Mais vous remarquerez au contraire que les oeuvres sont toujours disposées au mur, généralement entre 1.40 m et 1.50 du sol.
Cette disposition n’est pas le fruit du hasard, mais représente la hauteur moyenne où s’établit la ligne d’horizon pour un observateur adulte debout regardant droit devant lui.
Il convient de bien faire la différence entre cette ligne d’horizon qui se situe sur l’image par le plan qui se forme perpendiculairement à l’axe de l’oeil, et qui se déplace avec le regard selon la direction et la hauteur de l’observation, et l’horizon qui représente alors la ligne de rencontre du ciel et de la terre.
Quoi qu’il en soit, la hauteur moyenne de nos modules ou réseaux, longtemps fixée à la côte de 1 mètre par rapport au sol, conduit immanquablement à une vision du réseau «vue d’avion», qui écrase l’image et détruit les perspectives par un angle d’observation inapproprié.
Pour preuve, comparons les deux clichés 14 et 15 d’une ferme provençale traitée à l’échelle H0.
Quel plaisir de cheminer sur le sentier menant à cette ferme. Le diorama est placé à 1.30 m du sol.
La même scène, placée à 1m du sol, soit la hauteur longtemps préconisée pour implanter nos réseaux. Avec cette « vue d’avion », le spectateur n’a plus ses repères habituels.
Dans le premier cas, le niveau général est à 1 mètre du sol, selon les normes usuelles. La vision offerte ne correspond alors à rien de naturel, les perspectives étant écrasées.
Dans le deuxième cas, le niveau est porté à 1.30 m du sol, quitte alors à disposer une estrade pour permettre l’observation du réseau aux enfants.
Les perspectives sont maintenant redressées et la vision offerte est naturellement celle d’un promeneur cheminant le long de la route menant à la ferme.
Dans ce cas, l’ensemble du décor proposé à l’observation est placé sensiblement au niveau de la ligne d’horizon normale du spectateur.
Son attention étant captée, il aura naturellement tendance à prolonger l’observation afin de fouiller le décor du regard à la recherche du moindre détail.
Ces considérations parfois très théoriques, nous auront tout de même permis de constater qu’effectivement, il est tout à fait possible sur bon nombre de réseaux d’envisager d’évoquer, sinon de reproduire, un environnement bien plus vaste que les seuls abords de la voie ferrée comme nous le ferons dans les prochains chapitres.
Mais d’abord, pensons à dresser les plans de nos futures maisons...